La vigne en Petite Montagne (partie 3)

Publié le 17 Septembre 2012

3ème et dernière partie de l'article:

Le vin, la goutte et autres utilisations du raisin

A maturité, une petite partie des raisins étaient consommée directement. Quelques grappes étaient étendues sur de la paille pour être conservées quelques semaines.

La production de vin, boisson nourrissante, majoritairement du rouge, restait rustique.

Contrairement aux vignobles du Revermont de Saint-Amour à Salins-les-Bains plus professionnalisés et structurés, les méthodes de vinification étaient très empyriques.

La vendange était mise en récipients, souvent de petits foudres, pour subir fermentation et macération afin d'obtenir les vins rouges. Le vin était conservé dans des tonneaux où était tiré le vin au fur et à mesure de sa consommation. Il va sans dire, que les fins de tonneau devaient être de beaucoup moins bonne qualité qu'au début. Plus rare mais se conservant mieux, le vin mis en bouteille était réservé pour les grandes occasions: "les vins tirés"!

Après pressurage, les parties solides (le marc ou le gène) étaient de nouveau utilisées:

- soit de l'eau et du sucre y étaient ajoutés afin d'être refermentés pour obtenir la piquette.

- Soit directement distillées afin d'obtenir l'eau de vie de marc. Elle était la plus appréciée parmi toutes les eaux de vie.

Le raisin pouvait également être vinifié pour être distillé directement suivant les besoins en eau de vie. La goutte était un élément important dans la vie quotidienne rurale.

Pendant les années de restrictions, le moût de raisin (jus non fermenté) appelé localement "le vin nouveau" était associé avec d'autres fruits tels que la pomme ou la poire dans la réalisation du"réziné". Cette mixture de jus était réduite sur feu doux pendant de longues heures, jusqu'à 24 heures. Le resiné substituait le sucre qui manquait.

En Bresse, bien avant la guerre, on pratiquait de même avec une espèce bien particulière de poire. On nommait ce concentré la "Poiria". Un gros chaudron en cuivre passait de maison en maison pour sa confection. Les voisins se retrouvaient le soir pour des corvées afin d'éplucher les fruits.

Les parcelles de vigne étaient, pour le coup, de faibles surfaces, juste de quoi subvenir aux besoins familiaux. Elles étaient entretenues manuellement et à l'aide des boeufs. A l'image des vendanges, toutes les tâches à la vigne, poutant rudes, étaient des moments conviviaux où toutes les générations composant la famille se retrouvaient.

Hors, il apparait une zone en Petite Montagne où la vigne était très présente : Thoirette et les communes alentours. Les terroirs et expositions sont particulièrement adaptés à la culture de la vigne. Mais en réalité, une toute autre raison explique ces surfaces. En effet 123 hectares pour la commune de Thoirette en 1830, 70ha pour Coisia, 39ha pour Condes dépassent allégrement les besoins de l'ensemble des familles de ce secteur.

Certaines familles avaient, chose très rare, qu’une seule activité : celle de vigneron ! Une maison de Chaléa avec ses deux grandes caves voutées en témoigne.

La production de vin à but commercial existait bien sur ce secteur de la Petite Montagne.

Ceci trouve explication avec la proximité de la rivière d'Ain. En effet cette grande rivière était un axe commercial important avec la région Lyonnaise. En départ de la vallée de la Bienne, les radeliers faisaient escale sur certains ports pour charger toute sorte de marchandises. Ainsi à Condes et au hameau du Port (d’où son nom) rive gauche en face de Thoirette, des barriques de vins et des bonbonnes de goutte y étaient chargées pour être vendues à Lyon. Les barrages et surtout l’apparition des chemins de fer mettront fin au courageux métier de radelier à la fin des années 1910.

La disparition

Bien qu'après le coup dur de la crise phylloxérique,les vignes de la Petite Montagne ont quasiment toutes été replantées. La première guerre mondiale a été la première cause de l'abandon de bien des vignes qui ont péri par inculture, faute de main d'oeuvre. En 1838 à l'achèvement du cadastre, donc bien avant la crise phylloxerique, les cantons d'Arinthod, Saint Julien et Orgelet comptabilisaient 648 ha. de vigne. L'étude agricole du département, réalisée par les services agricoles du Jura, n'en recence, en 1924 plus que 396 ha. !

Le transport, notamment ferrovière, s'étant largement developpé, avait rendu les vins du midi et surtout, pour notre région, les vins d'Algérie accessibles. Relativement peu couteux et de bien meilleure qualité que la production locale, leur consommation a très rapidement supplanté les vins et piquettes des vignes familiales dont l'entretien restait fastidieux.

Après la seconde guerre mondiale, l'exode rurale, l'augmentation du pouvoir d'achat, les changements du mode de consommation et les restrictions de production d'alcool (droit de distiller et destruction des alambics privés) acheveront l'abandon des vignes en Petite Montagne. Seuls les vignobles professionnalisés et produisant des vins plus qualitatifs resteront.

Que ces préoccupations paraissent lointaines face à une actualité si controversée où le gouvernement tire à boulets rouges sur un des fleurons de "la culture française" à coup de répressions de baisse du taux d'alcoolémie et de la loi Evin.

Toutes les personnes qui ont connu les joies des vendanges, cloturant une année de labeur, les moments conviviaux à l'alambic, doivent se demander dans quel monde on vit actuellement !

Je clôture cet article par une note d'optimisme avec l'espoir que malgré ces bouleversements liés à la société de consommation et les contraintes gouvernementales, les moments conviviaux et passionnels autour de la belle gastronomie et les beaux vins si diversifiés de notre pays, perdurent encore longtemps et intéressent de plus en plus la jeune génération.

Bibliographie:

Douaire F., 1925, Le Jura Agricole, Lons Le Saunier, Imprimerie Verpillat

Galet Pierre, 2000, Dictionnaire ampélographique des cépage, Ed. Hachette

Colette Merlin, 1994, Ceux des villages..., Ed. P U De Franche Comté

Rouget Charles, 1897, Les vignobles du Jura et de Franche-Comté, Revue viticole de Franche Comté et de Bourgogne

Rousset A., 1853-1857, Dictionnaire géographique des Communes du Jura, A. Robert imp., t. I à VI,

Notes personnelles: Toujours intéressé, je reste à votre disposition pour tout échange de documentation et de connaissances sur le sujet.

Dernière parcelle de vigne de la Petite-Montagne sur la commune de Condes (photo 2010)

Dernière parcelle de vigne de la Petite-Montagne sur la commune de Condes (photo 2010)

Rédigé par Gaël DELORME

Publié dans #Vigne et vins

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F
Intéressant, ce papie,r et c'est un scoop si j'en crois le paragraphe qui explique que les vignes ont été replantées à Thoirette après le phylloxéra : en général, c'est l'inverse, l'insecte ravageur ayant rendu non rentable la replantation au vu de la concurrence des vins du Midi et d'Algérie. Merci pour cette info pas banale, on oublie trop souvent qu'il y avait de la vigne partout avant. Et d'ailleurs, pour votre info = le fait que la petite Montagne ait été planté en vignes explique sans doute que le poulsard ait suivi ce corridor naturel vers le Bugey, et se soit ainsi retrouvé à Cerdon ;-))
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G
Ou l'inverse! L'origine du Poulsard on ne la connait pas scientifiquement parlant!<br /> <br /> En réalité le vignoble du département jurassien (pour parler de ce que je connais) est passé d'un peu moins de 20 000ha fin du XIXème à plus de 11 000ha et 1911. Une grande partie des vignes on tout de même été replantées. Puis c'est d'autres aléas historiques qui l'on amené à ce qu'on connait aujourd'hui. Sa superficie n'a cessé de baisser jusqu'autour de 1965 (qui comptait moins de 800ha!).