La sauvegarde des vieux cépages

Publié le 24 Août 2013

Pour moi la reprise, après près de 3 semaines de congés, c'était lundi dernier. Ceci dit ça n'a pas été un sacerdoce. J'ai la chance de faire un métier qui me passionne et c'est toujours (ou presque) avec grand bonheur que je me rends au boulot.

Il faut dire que lundi était une journée particulière. Une journée qui clôture une mission qui aura durée 10 ans quasiment jour pour jour: la sauvegarde des cépages franc-comtois.

Actuellement sur le Jura, avec la dominance des vins d'AOC, seuls 5 cépages dominent le paysage viticole.

Pour faire simple et si vous suivez mon blog (articles 1, 2 et 3), le vignoble jusqu'au XIXème siècle s'étendait du sud du Revermont (autour de Saint-Amour) jusqu'au nord de Besançon, de plus d'autres secteurs étaient également viticoles (Thoirette, Dole, Gy, Champlitte, haute vallée de la Loue,...). A cette époque, Charles Rouget décrivait entre 40 et 45 cépages utilisés sur l'ensemble de ces vignobles, ce qui est un nombre déjà remarquable à l'époque. Cette diversité était composée de cépages dits d'emprunts provenant d'autres grandes régions viticoles (Bourgogne, Suisse, Alpes, Sud-Ouest,...), mais aussi d'une grande part de cépages typiquement Franc-comtois.

La profession viticole jurassienne a pris conscience de l'importance de cette diversité génétique qu'il était grand temps de sauver et, à mon embauche à la Société de Viticulture du Jura il y a 10 ans, m'a confié cette mission.

De quasiment zéro, il a fallut rencontrer ceux qui avaient une certaine connaissance de ces vieilles variétés, prospecter sur le terrains, d'abord des parcelles signalées puis très vite sur l'ensemble des vieilles parcelles du vignoble et plus particulièrement celles d'amateurs qui avaient conservé les vignes familiales dans leur jus. De ces prospections, il a fallut identifier précisément ces variétés, vérifier leur état sanitaire, les greffer en pépinière avant de les introduire dans les 3 conservatoires dédiés.

Entrée du conservatoire perché à Château-Chalon

Entrée du conservatoire perché à Château-Chalon

Donc ce lundi 19 août, c'est en présence de Thierry Lacombe, ingénieur à l'INRA de Montpellier et l'un des tout meilleur spécialiste de la reconnaissance des cépages, de Francis Minet, des pépinières Guillaume qui a géré la partie production des plants et Juliette ma brillante stagiaire, que nous avons visité les conservatoires afin de vérifier l'ensemble des pieds de vignes.

Pour la plupart, ce n'était qu'une vérification. Pour d'autres, nous n'avions pas pu les identifier sur les vieilles parcelles et ce fut l'occasion de les revoir plus vigoureux.

Au final, pour quelques-uns nous attendons les résultats d'analyses génétiques pour avoir enfin confirmation. Mais dans l'ensemble, nous avons pu regrouper dans ces conservatoires pas moins de 51 variétés dont plus de la moitié sont proprement typiques aux vignobles franc-comtois!

Évidemment les bonnes surprises ont été régulières pendant toutes ces années de recherche: des cépages que l'on pensait totalement disparu ont pu être retrouvés, des cépages originaux découverts, d'autres qui n'étaient pas cités dans la bibliographie et dont nous ignorions leur culture ici.

Pour illustrer cela, je vais vous donner les deux qui ont marqués notre visite de lundi:

Le Plant de Mouchard blanc:

Voilà un cépage blanc que nous n'avions pu identifier sur la vieille parcelle d'origine. Le prélèvement de quelques feuilles a permis de comparer son ADN avec la banque de donnée de l'INRA de Montpellier. Ainsi celui-ci s’avère être un cépage original, inconnu jusqu'alors. Il a été donc, baptisé par le nom de la commune où il a été découvert.

Plant de Mouchard blanc

Plant de Mouchard blanc

Le Castets noir

En 2006, lorsque nous avions marqué quelques souches de ce cépage à Buffard dans le Doubs, nous avions longtemps débattu sur son identité. Pour finir nous nous étions entendu sur le Gueuche noir, cépage typiquement franc-comtois, qui était autrefois assez commun et permettait aux viticulteurs d'assurer une certaine production.

Hors, une fois de plus l'analyse génétique avait levé un lièvre. Donc, nous avons pu, sur les conservatoires, comme sur la parcelle d'origine (en friche et prévue à l'arrachage dans les mois à venir!), confirmer que c'était finalement le Castets noir, un cépage connu dans le Sud-Ouest mais dont nous ignorions sa culture en Franche-Comté.

Une bonne surprise qui confirme un axe d'échange entre la Franche-Comté, le Sud-Ouest, le nord de l'Espagne et le Portugal, chemin que le Trousseau à emprunté.

Le Castets à gauche, le Geuche noir à droite. Deux cépages que seuls quelques détails différent.Le Castets à gauche, le Geuche noir à droite. Deux cépages que seuls quelques détails différent.

Le Castets à gauche, le Geuche noir à droite. Deux cépages que seuls quelques détails différent.

Donc voilà une sympathique journée qui clôture une action de grande importance. La question qu'on me pose à chaque fois et qui, je reste persuadé, va vous intéressé, c'est "Dans tous ces cépages, y en a t'il qui serait intéressant pour la production actuelle?"

Tout d'abord ce qu'il faut signaler, tous ces cépages ont été abandonnés, et c'est pas pour rien. Aucun, n'arrive à la hauteur, qualitativement parlant, des 5 actuels. Cependant, même si ce n'est actuellement pas une priorité, on peut très bien envisager l'intéret de certains d'entre-eux en assemblage, pour apporter de la couleur aux vins, de l'acidité ou tout simplement de la complexité.

La sauvegarde de ce matériel génétique est de toute première importance; Nous ne savons de pas de quoi est fait l'avenir. La viticulture de demain peut avoir besoin de ces ressources génétiques pour une utilisation directe (ré-homologation d'un ancien cépage) ou pour de la création variétale. J'aime utiliser cet exemple particulièrement parlant: Le Gouais blanc (Gueuche blanc dans le jura) est un cépage de grosse production et grossier. D'ailleurs "Gueuche" et "Gouais" en patois sont plutôt des termes péjoratifs et pourtant ce cépage est parent de nombreux cépages comme le chardonnay, le gamay, l'aligoté, le riesling ou le Furmint du Tokay hongrois!

Gouais Blanc un cépage déterminant dans le paysage variétal actuel.

Gouais Blanc un cépage déterminant dans le paysage variétal actuel.

Les vignerons professionnels ont pris, il y a 10 ans, une importante décision en lançant cette action. Il convient de le souligner. Plus tard ça aurait été trop tard car vous n'imaginez pas le nombre de parcelles que j'ai pu prospectées et qui sont aujourd'hui soit arrachées ou en friche!

Sage décision d'autant plus que ce type d'action à un certains coût (même accompagné par d'autres financements) et n'apporte, directement, peu de choses à court et moyen terme. Mais encore une fois il était primordial de le faire et nous ne savons pas de quoi est fait l'avenir.

Et pour finir les deux articles diffusés dans la presse locale:

Rédigé par Gaël DELORME

Publié dans #vigne et vins

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